Par Aymeric Engelhard
Quand un dessinateur de BD prend l’initiative de réaliser un film sur un artiste hors du commun, cela donne un univers décalé et original. Aussi noire que colorée, aussi mélodieuse que crasseuse, la vie de Gainsbourg échappe aux règles du biopic pour se transformer en conte flirtant avec le fantastique. Qu’on aime l’artiste ou non, le résultat s’avère flamboyant.
Lucien Ginsburg n’est pas un enfant comme les autres. Jeune écolier, il porte beaucoup d’intérêt à la cigarette et aux femmes sculpturales. Normal, direz-vous. Sauf que le gamin sait y faire, il démontre déjà une aisance, un franc-parler et un certain amour pour la provoc qui feront sa célébrité quelques dizaines d’années plus tard. Car Lucien devient Serge, Ginsburg Gainsbourg puis Gainsbourg se transforme en Gainsbarre. Dernière étape d’une vie étrange et mouvementée où l’homme aura façonné une légende hors-paire. Il a côtoyé des femmes aussi belles que vénéneuses, s’est mis l’Armée française sur le dos et a finalement tout perdu à cause de ses dépendances diverses. Voilà comment Joann Sfar, dessinateur de bande dessinées, a vu le personnage qu’est Gainsbourg. Il évite toutes les règles habituelles du biopic (« Ray » ou « La Môme » par exemple) en faisant de son sujet principal un véritable personnage, comme s’il l’avait créé lui-même. Il l’étoffe jusqu’à l’affubler d’un double appelé « la gueule » qui influera clairement sur son comportement (c’est un peu son mauvais penchant). Le duo s’avère détonnant. « La Gueule », grande perche au nez, oreilles et doigts ultra volumineux, paraît tout droit sortir d’un dessin animé. Il apporte ce côté fantastique au film, une sorte de poète raffiné mais sombre. Il contribue pleinement à la chute du doux Lucien / Serge en Gainsbarre.
Juliette Gréco, France Gall, Brigitte Bardot, Jane Birkin. Voici ces sublimes femmes qui croiseront la route de Gainsbourg. Gréco a le regard perçant et la voix feutrée d’Anna Mouglalis, Gall le visage enfantin de Sara Forestier, Bardot la magnificence de Laetitia Casta et enfin Birkin tout le talent de la troublante Lucy Gordon (qui s’est malheureusement donnée la mort à la fin du tournage). Toutes ne finissent pas dans le lit de Gainsbourg mais Sfar en fait de sublimes déesses (sauf Gall). La dernière devra supporter le Gainsbarre malade devenu violent. La mise en scène de Joann Sfar puise dans l’univers de la bande dessinée. Il alterne entre le coloré et le sombre, sublimant quelques plans exceptionnels de poésie. Son film n’est assurément pas classique. Tout y est subtil, l’utilisation des musiques s’accordant parfaitement avec les images. Il en profite pour ne pas s’attarder sur certaines périodes de la vie de Gainsbourg. Son objectif : écrire un conte sur un personnage passionnant autant qu’étrange. A cela il ne manque que le « Il était une fois… ». La beauté de son œuvre est celle du velours, un velours noir et doux. Deux heures d’intelligence et de rêve. Le film a beau de pas être en tout point parfait, il réussi à faire de Gainsbourg un personnage passionnant. Et c’est déjà une performance. Mais la performance ultime du long-métrage réside dans l’interprétation de l’étonnant Eric Elmosnino. Sa ressemblance (aidée de quelques petits rajouts) avec le chanteur est sidérante. L’acteur n’a pas sa place ici, c’est bien Serge Gainsbourg qui embrase l’écran. Il passe de l’attachant au violent aisément, se donnant tout entier dans un rôle difficile. A la fin du conte, il en devient terrifiant lorsque, devant une Lucy Gordon désemparée, il enchaîne les actes qui le mènent à sa perte. Une perte que l’on ne verra pas mais dont le terme apparaît alors logique.
Finalement, ce « Gainsbourg (Vie Héroïque) » constitue la surprise de ce début d’année. Léger, subtil, intelligent, le film n’a pas été réalisé pour faire du chanteur culte une personne émouvante mais bien un personnage étrange et fascinant. Il est aussi à l’origine de deux énormes révélations : Joann Sfar derrière la caméra et Eric Elmosnino devant.