Par Aymeric Engelhard
Aura-t-il fallu attendre Cannes pour voir enfin un grand film ? Au sein d’une première partie d’année 2012 plutôt moyenne, où l’on commençait à désespérer surtout après un mois d’avril franchement décevant, le festival nous apporte l’arme d’émotion massive absolue. « De Rouille et d’Os ». Un monstre qui confirme si besoin était tout le génie de son metteur en scène et qui offre à nos pupilles endormies une bonne dose de grand cinéma.
Deux jours du plus prestigieux des festivals et déjà une œuvre maîtresse. 2012 commence seulement à montrer son vrai visage. Depuis janvier, seul Eastwood était parvenu à nous offrir des émotions cinématographiques dignes de ce nom. Il aura fallu attendre Jacques Audiard. Le génie français n’a pas son pareil pour nous envoyer en pleine face le destin de ses écorchés vifs. Si « Un Prophète » était clairement le plus grand film français de l’année 2009, le nouvel opus du cinéaste peut aisément concourir de nouveau pour le titre et pourquoi pas glaner la Palme tant qu’on y est. Il faut dire que le sujet a des chances de plaire au jury cannois. De toute façon dès qu’il y a des handicapés souffrant plus moralement que physiquement malgré la perte d’un membre, les jurés sont fans. Point d’inquiétude, le moindre prix serait évident. Croisons les doigts donc car en mêlant les destins d’Ali, pauvre délaissé brutal ayant besoin de mordre dans la vie, et Stéphanie, ancienne princesse de boîte amputée des deux jambes, Audiard fait ce qu’il fait de mieux. Un drame grave et brut, en apparence simple mais en réalité gigantesque. Il fait du social mais plutôt que de nous gaver bêtement comme à la télévision, le maître ancre son sujet de façon cinématographique. « De Rouille et d’Os » constitue une sorte de roi des apparences. La mise en scène pourrait s’avérer simpliste avec ses mouvements intempestifs de caméra épaule, ses flairs lumineux cachant les visages ou encore une quasi absence de musique mais tout ceci n’est que la partie immergée de l’iceberg. Chaque idée visuelle, qu’elle soit de l’ordre du cadre ou de la lumière va chercher au-delà de la notion de réalisme (bien présente cependant). Audiard maîtrise de façon terrifiante ses spectateurs et leurs émotions. L’utilisation de longues focales et les placements absolument phénoménaux de plans fixes ou légers travellings offrent au film une réflexion que seul le pouvoir de l’image peut posséder. Malgré tout il apparaît vite évident que « De Rouille et d’Os » ne serait rien sans ses comédiens. Faussement mise en avant par une bande-annonce catastrophique jouant la carte du « film-avec-une-actrice-oscarisée-césarisée-dedans », Marion Cotillard trouve ici le plus beau rôle de sa carrière tant elle fait preuve d’un naturel sidérant dans la moindre des situations. Plus qu’un premier rôle, elle accompagne la trajectoire d’un Matthias Schoenaerts monstrueux, sorte d’animal en cage moins perméable qu’il ne le croit. Les deux interprètes brûlent la pellicule comme aucun avant eux chez le réalisateur. Si cette œuvre marque par sa maîtrise technique et sa direction d’acteur c’est toutefois le naturel qui l’emporte et de quelle façon ! Un film immense dont on ressort écrasé, hanté, troublé et marqué pour une durée encore indéterminée.