Par Aymeric Engelhard
Ce qui peut s’apparenter à du théâtre filmé prend le risque d’être sacrément barbant. Sauf quand un cinéaste qui maîtrise l’espace et la mise en scène se retrouve derrière la caméra. Ajoutons à cela des dialogues ultra aiguisés et quatre interprètes phénoménaux pour obtenir « Carnage ». Qui aurait cru qu’un règlement de compte entre parents dans un simple appartement pouvait être aussi jouissif ?
Il va sans dire que la déception provoquée par « The Ghost Writer », opus sorti l’année dernière, laissait augurer le pire pour Roman Polanski. L’image d’une ancienne gloire du cinéma qui s’endort et embarque le spectateur dans sa léthargie. Il lui fallait obligatoirement une œuvre à fort tempérament, quelque chose d’intense, de grisant et subversif. La pièce de Yasmine Reza, « Le Dieu du Carnage », semblait faîte pour lui. Alors qu’un conflit physique éclate entre deux enfants, les parents des deux parties se rencontrent pour mettre les choses au clair. Au début politesse, sourires et éducation sont au rendez-vous mais très vite la situation dégénère, chacun voulant avoir raison, cherchant des raisons là où il n’y en a pas et allant même jusqu’à remettre en cause son propre couple. Dit comme ça, ça n’a pas l’air très passionnant. Sauf que la qualité et la précision des dialogues se révèlent impitoyablement grisantes. Le décor est simple : un appartement en plein New-York. Les quatre personnes y évoluent avec une aisance particulière. Royalement inspiré par le théâtre, Polanski maîtrise l’espace et rend la situation d’un réalisme troublant. Ainsi chacun des personnages occupera au moins trois emplacements, rien que dans le salon, pour trois états d’esprit différents. Tout semble naturel. Peu à peu, ils interagissent avec le décor. De même les deux couples possèdent leurs caractéristiques propres et plus le film avance, plus leur psychologie se voie mise sur la table d’opération. En résultent des scènes absolument tordantes mais que l’on se gardera bien de vivre. Polanski nous pose en spectateur et nous délecte du spectacle de l’Homme armé de sa fierté.
Mais tout cela n’aurait été possible sans un quatuor d’anthologie capable de nous en mettre plein la vue. A vrai dire, on croit pleinement aux personnages, ce qui est énorme en comparaison avec un certain nombre de films récents. Jodie Foster incarne la femme de gauche, écrivain et amatrice d’art, sensibilisée par les pays en guerre mais qui ne troquerait son confort pour rien au monde. Elle a le dessus sur son mari, John C. Reilly, simple vendeur, qui dévoilera une belle capacité à se rebeller. Face à eux, Christoph Waltz et Kate Winslet forment un couple à l’apparence stricte. Il est avocat, toujours collé au téléphone, se sent peu concerné par la vie familiale et possède un sens de la répartie impitoyable. Elle travaille pour le patrimoine et porte des tailleurs serrés. Le conflit les fera eux aussi exploser. On a parfois l’impression d’assister à un match de boxe, les échanges verbaux pleuvent, plusieurs événements relèvent régulièrement la sauce et relancent de plus belle les festivités (Kate Winslet nous gratifie notamment d’une somptueuse régurgitation qui vient admirablement casser l’aspect trop lisse de la situation).
Polanski nous prouve ici que ses déboires avec la justice n’ont pas anéanti son évident talent. Il a su transformer une simple dispute en véritable jeu de massacre. Le réalisateur s’est visiblement fait plaisir, un plaisir particulièrement contagieux. On l’en remercie.