Par Aymeric Engelhard
Les films d’espionnage sont monnaie courante aujourd’hui. Pourtant rares sont ceux qui marquent. Si « L’affaire Farewell » n’apparaît pas comme un chef d’œuvre, il étonne par ses qualités de reconstitution et par le traitement psychologique des personnages. De plus il offre au spectateur une plongée dans une affaire peu connue du grand public qui a pesée dans les relations internationales.
Le réalisateur Christian Carion s’est déjà illustré dans le film international avec « Joyeux Noël » en 2005. Anglais, français et allemands se rencontraient lors d’une légère trêve pendant la seconde Guerre Mondiale. Ici, le metteur en scène s’attaque à l’espionnage politique avec pour ligne de mire l’affaire Farewell que Ronald Reagan considéra comme « l’une des plus grandes affaires d’espionnage du XXème siècle ». L’affiche se charge de rappeler cela. Nous sommes dans les années 80. Un colonel du KGB s’allie à un ingénieur français pour faire passer des informations confidentielles en France afin de déjouer le système soviétique. Mitterrand est alerté et informe Reagan. Les soviétiques ont la capacité de tout connaître des recherches scientifiques, industrielles et militaires de l’Ouest grâce à un gigantesque réseau d’espionnage. Le sujet pourrait paraître barbant, il n’en est rien. Carion orchestre de main de maître son thriller. Il créé un paysage politique très crédible, fort d’une reconstitution de l’époque absolument parfaite. De la photographie qui change en fonction de l’Etat aux voitures, habits, etc., tout se veut très précis. Cette précision est aussi marquée par les choix musicaux de Clint Mansell (« Requiem for a Dream »). Le compositeur, habitué des productions américaines, adapte sa partition au contexte pour signer une bande-originale diversifiée et sombre. Le paysage musical se voit même complété par des classiques de Queen ou léo Ferré. En bref on est bien dans les eighties. Mais Carion va plus loin. Il place devant sa caméra un Mitterrand et un Reagan plus vrais que nature. Les interprètes Philippe Magnan et Fred Ward font un boulot remarquable. Car l’une des forces du long-métrage c’est sa capacité de traiter en profondeur de ses personnages. Guillaume Canet n’a pas besoin d’en faire des tonnes, son rôle est parfaitement écrit. Quant à Emir Kusturica, réalisateur yougoslave passé acteur, son visage carnassier et son charisme psychologique en font une bête de cinéma. On comprend leur combat pour faire un monde meilleur tout en essayant de protéger leurs proches inévitablement touchés par leurs affaires secrètes. Christian Carion dote son film d’un joli suspense qui vient jouer dans la même cour de récré que le réalisme foudroyant. A ses comédiens principaux, il ajoute une belle brochette de second-rôles tout aussi bons, à savoir Alexandra Maria Lara (« La Chute »), Niels Arestrup (« Un Prophète ») ou encore l’exceptionnel Willem Dafoe (« Antichrist »). A vrai dire le réalisateur bluffe par la qualité de sa mise en scène. Il n’est jamais dérangé par la diversité des langues et, au contraire, joue à fond dessus. Un vrai film international, une très belle surprise. A voir.