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Par Aymeric Engelhard

Après « Mammuth » et sa vision rebelle de la retraite, les cinéastes les plus barrés de France s’attaquent au mouvement qui caractérise leur cinéma : le punk. Ils réunissent deux acteurs n’ayant jamais travaillé ensemble malgré toute l’évidence de leur union pour une satire drôle et déjantée. Humour (très) noir et situations délirantes s’enchaînent dans un film qui, malheureusement, ne va nulle part. Excellent mais insuffisant.

Depuis qu’ils sont passés à la réalisation de long-métrages, les compères du fameux Groland Gustave Kervern et Benoît Délépine sont parvenus à se faire une place de choix au sein du cinéma français. Très rebelles, réfractaires à tout, anarchistes même, les deux loubards projettent leurs délires de société à l’écran. Cela donne une idée de ce qu’aurait pu être le cinéma selon les Sex Pistols et consorts. Cependant « Mammuth » montra qu’ils pouvaient s’assagir et développer une véritable émotion autrement que par le talent de son acteur principal. Ils se montrèrent en vrais cinéastes capables de faire passer des sentiments par la mise en scène. A l’annonce de la mise en chantier du « Grand Soir », on s’attendait donc à un prolongement, à une confirmation de leurs talents. Mais en vrais punks, les terreurs pulvérisent les attentes en faisant de leur dernier opus un film rebelle jusqu’au bout des os. On y suit Not, le soi-disant plus vieux punk à chien d’Europe, et son frère Jean-Pierre, vendeur en literie, tous deux fils d’un restaurateur spécialisé dans la patate et d’une mère peu saine d’esprit. Reprenant sans cesse son frère quant à sa condition de vie, Jean-Pierre se rendra compte des limites de la sienne et marchera sans peine aucune dans les pas de son illustre frangin. Une vie punk, ils mèneront. Et une réalisation punk, les cinéastes adopteront. Pour accompagner les péripéties de leur inénarrable duo, ils ne s’accaparent d’aucun code cinématographique, privilégiant les mouvements de caméra foireux et autres cadrages… décadrés.

Beaucoup de plans séquences fixes accompagnent des discussions pourtant explosives (voir l’extraordinaire capharnaüm bruyant dans lequel les deux fils tentent de communiquer à leur père en même temps). De ce fait, l’humour si corrosif ne touchera pas tout le monde puisqu’il ne réside pas sur ses bases habituelles. Il faut souvent s’accrocher aux paroles et aux situations comme elles arrivent (le suicide du fermier en est l’exemple parfait). Les deux réalisateurs frappent fort avec un sens suraigu du dialogue. Des dialogues terribles mettant en avant toute la qualité des interprètes qui les récitent (de Bouli Lanners à Gérard Depardieu en passant par Brigitte Fontaine). Qui plus est l’association Benoît PoelvoordeAlbert Dupontel constitue un modèle de perfection. Les deux sublimes acteurs sont l’exacte projection à l’écran de ceux qui les dirigent. Tout était jusque-là suffisamment original et génial pour que l’on tienne un véritable must dans le paysage cinématographique français. Puis tout à coup, rideau ! Une fin brutale qui vient contrecarrer toutes les espérances. « Le Grand Soir » est un vrai film punk. Et les punks, à part faire des projets, se rebeller et être contre tout (No Future !), n’ont jamais changé les choses. Du coup, nulle fin pour « Le Grand Soir ». Les personnages ne vont finalement nulle part si ce n’est que personnellement, ils se sentent mieux, plus en connexion entre frères. Dommage pour un film si réussi jusque-là.