Par Aymeric Engelhard
« Les 3 Royaumes » c’est du cinéma à grand spectacle typiquement chinois. Un enchaînement de batailles à couper le souffle dans un conflit dont finalement on ne sait pas grand-chose. Mais c’est aussi une véritable déflagration visuelle où les rapports entre adversaires sont très bien traités. Le cinéma de guerre chinois nous offre là l’une de ses plus belles démonstrations.
Après une longue période où il s’est abandonné aux joies d’Hollywood, John Woo revient dans son pays natal pour réimposer sa marque. Après avoir réalisé entre autres « Mission : Impossible 2 » et « Volte-face », le metteur en scène adepte de défouraille vient refaire sa loi en Chine. Il doit récupérer son trône repris depuis par Zhang Yimou et ses films « Hero » ou encore « La Cité interdite ». Ce dernier s’était avéré être le film chinois le plus cher, mais Woo fait d’une pierre deux coups puisqu’il bat Yimou au niveau du budget et vient disputer son trône avec fière allure. En effet « Les 3 Royaumes » est bien plus réussi que le dernier film de son adversaire. Aussi, John Woo semble avoir retrouvé une mise en scène largement plus intelligente que lorsque qu’il officiait au pays de l’Oncle Sam (le deuxième épisode de « Mission : Impossible » était d’une nullité sans égale). « Les 3 Royaumes » est donc un film de guerre se déroulant en 208 après JC, qui narre l’alliance de deux royaumes chinois face à un troisième larron avide de pouvoir. Il décrit chacune des batailles dans leur plus stricte cruauté, faisant l’apanage d’un génie stratégique impressionnant. Des armées s’étendant à perte de vue, d’immenses flottes navales, un nombre de figurants démentiel, des décors et costumes somptueux… Woo ne fait pas dans la dentelle. On pouvait s’attendre à des scènes de karaté abusives (Yimou adore ça) mais non, si les personnages font preuve de combos stylisés cela n’atteint pas des proportions inhumaines…
Les batailles sont donc rondement menées, visuellement grandioses, et les morts tombent vite et bien. Oui il y a beaucoup de morts, du sang aussi, des litres… Mais cela forge notre plaisir. En tout cas John Woo a l’âme d’un grand stratège militaire. Il joue aux petits soldats avec un plaisir non dissimulé et créé des stratégies encore plus folles que Peter Jackson pour « Le Seigneur des Anneaux ». En fait le film va de batailles en batailles, il s’offrira un peu de repos pour la dernière, celle qui va mettre fin au conflit, qui sera un véritable feu d’artifice visuel et guerrier. Mais alors entre les batailles, y a quoi ? Et bien justement, pas grand-chose, si ce n’est la découverte psychologique des personnages. C’est déjà bien, direz-vous, mais insuffisant. Si bien que, dans la première partie du film, les « entre-deux-batailles » accrochent difficilement. Toutefois il est un rapport qui change la donne. Celui entre le protagoniste et sa femme. Woo le filme avec une poésie agréable, créant un attachement pour ces deux personnages. Il évolue pour donner un ton romantique et plus humain dans ce combat persistant. Et il faut dire que l’interprétation de l’excellent Tony Leung (« 2046 », « Infernal Affairs ») aide à la qualité de la dimension « humaine » du métrage. Surtout qu’il n’y a pas que lui, tous les acteurs atteignent un grand niveau d’interprétation. « Les 3 Royaumes » durent 2h25 et autant dire que ça passe très vite. Peut-être imparfait mais sans doute l’un des meilleurs films de John Woo. Aussi doit-on se poser quelques questions : comment se fait-il que des long-métrages avec un souci du détail aussi précis (costumes, décors… la direction artistique est étonnante) ne soient jamais représentés aux Oscars ? Est-ce parce ce qu’ils sont Chinois ? Pourtant, assurément, « Les 3 Royaumes » n’ont rien à envier à Hollywood.