Par Aymeric Engelhard
Grand favori des Oscars, ce ventripotent livre d’histoire consacré au seizième président des Etats-Unis a l’avantage d’être mis en image par un homme tout à fait indiqué pour en faire une œuvre marquante.
Petit rappel des faits : Abraham Lincoln fut le premier président américain républicain. Son anti-esclavagisme lui valut de subir les foudres d’un pays peu enclin à se séparer de ses « nègres ». Son arrivée au pouvoir entraîna la très violente Guerre de Sécession qui vit l’affrontement haineux entre les états de l’Union et les Confédérés esclavagistes. Quatre années de guerre civile qui auront laissé des traces encore perceptibles aujourd’hui dans certaines contrées de l’Oncle Sam malgré la victoire de la raison.
Il est de notoriété générale que Lincoln fut l’un des plus grands chefs d’Etat du pays, son combat pour que les « nègres » obtiennent leur liberté a grandement marqué les esprits. Et ce n’est pas le film de Steven Spielberg qui viendra se confronter à l’opinion populaire. En s’intéressant aux cinq derniers mois de sa vie et la mise en place du fameux 13ème amendement, le metteur en scène ne nous offre pas la vision douteuse d’un président aimé de tous.
D’une certaine manière, Spielberg s’est mis à l’abri en se concentrant sur l’essentiel, sur ce que le monde entier a retenu. Et c’est là qu’un tel metteur en image paraît tout indiqué. Le roi absolu du mélange entre film d’auteur et divertissement à grande échelle ne pouvait qu’amener vers le haut une telle histoire, d’autant que cela lui permet en plus de traiter d’une grosse page de l’histoire de son pays à la manière de « La Couleur Pourpre » ou « Il faut sauver le soldat Ryan ».
Les cinq derniers mois de la vie de Lincoln par Steven Spielberg c’est une évidence cinématographique comme on en voit peu, difficile donc de ne pas sauter dessus rien que pour cette raison. Le réalisateur au nez plus que fin a vu en Daniel Day Lewis l’incarnation parfaite du président. On ne peut que saluer ce véritable coup de maître tant le très rare acteur s’est glissé non pas dans la peau mais bien dans la chair de son rôle. Comme toujours cet homme, que l’on nommera sans trop se mouiller le meilleur acteur du monde, apporte tout le nécessaire afin de rendre ultra crédible son personnage tout en lui conférant une allure et un panel d’émotions proprement impressionnants.
Il se voit accompagné par une bande de second-rôles de très grande classe (de David Strathairn à Tommy Lee Jones en passant par la merveilleuse Sally Field dans la peau de Madame Lincoln). Toutefois si les qualités foisonnent, ce « Lincoln » n’atteint pas les sommets de la filmographie de son réalisateur. La faute au côté trop académique et pédagogique qui s’en dégage. Spielberg a beau mettre tous ses talents au service de son œuvre, celle-ci manque parfois de cinéma à proprement parler.
C’est un livre d’histoire aux segments tous tracés (le suspense qui accompagne l’annonce des votes pour le 13ème amendement n’a aucun intérêt) sous la musique d’un John Williams qui sent franchement le réchauffé depuis quelques années déjà. Dans un sens, le metteur en scène des « Dents de la Mer » ne s’est pas foulé. Mais un Spielberg en demi-teinte cela reste du très haut niveau.