Par Aymeric Engelhard
En sélectionnant « Moonrise Kingdom » en ouverture du Festival de Cannes, l’équipe organisatrice a clairement fait mouche. C’est l’occasion de mettre l’accent sur un cinéma indépendant américain étonnant tant il flirte avec le divertissement lambda sans toutefois jamais franchir la limite. C’est aussi le moment rêvé pour célébrer un auteur exceptionnel qui hante le box-office mondial avec de véritables petites perles marginales mais non sans défauts.
Commencer Cannes avec « Moonrise Kingdom » c’est à la fois commercial et génial. Commercial dans le sens où il s’agit d’un film américain rempli de stars qui fonctionnera évidemment au box-office et génial parce qu’on y voit l’art du cinéma indépendant ricain mis en boîte par l’empereur de la composition du cadre. Une stratégie bien vue, juste compromis entre le blockbuster et le film d’auteur. Comme certains autres poids lourds de la compétition : « De Rouille et d’Os » d’Audiard, « Sur la Route » de Salles, « Killing them Softly » de Dominik ou encore « Cosmopolis » de Cronenberg. Soit une sélection attendue mais particulièrement alléchante. Mais qu’est-ce que « Moonrise Kingdom », ce truc jaunâtre dont la bande-annonce montre des superstars américaines sur du Françoise Hardy ? C’est le septième film d’un étrange dandy aux cheveux disons… grunges. Wes Anderson a mis Hollywood à ses pieds. Sa présentation étonnante et le drôle d’esprit tant visuel que morale de ses œuvres attire les plus grands. Un homme qui se répète inlassablement mais dont l’originalité dans la mise en scène effare à chaque fois. Le roi du travelling, le maître du plan de coupe, le génie du mouvement de caméra, le tyran de la symétrie (depuis la mort de Kubrick)… C’en est presque mécanique. Son dernier terrain de jeu n’échappe en rien à la règle. Comme dans « La Famille Tenenbaum » ou « La Vie Aquatique », « Moonrise Kingdom » regorge de prouesses techniques donnant un dynamisme extraordinaire aux scénettes de cette histoire d’amour entre un jeune scout et une gamine en pleine crise. Chaque intervention technique, chaque mouvement offre un niveau de lecture à l’œuvre. Le fait est qu’Anderson fait partie de ces cinéastes qui ont compris les notions de plan-séquence et de montage au cinéma. Le seul problème concernant le réalisateur c’est qu’en matière de montage, il sait seulement faire court. Le phénoménal enchaînement de petites situations que représente « Moonrise Kingdom » apparaît au final paradoxalement mou. Censées donner du dynamisme à l’œuvre, les merveilles techniques mises bout à bout se détruisent elles-mêmes. Et les chefs d’œuvre que devraient être les films de Wes Anderson ne donnent finalement que des comédies quelque peu longuettes, toujours sympathiques, régalant nos yeux et nos oreilles (ce mec a un sens du dialogue étonnant) mais mollassonnes. On se réjouira heureusement des excellents numéros d’acteurs que nous proposent Bill Murray, Edward Norton ainsi qu’un Bruce Willis immense lorsqu’il change de registre. En bref, « Moonrise Kingdom » constitue en tout point la continuité des précédentes réalisations du surdoué Wes Anderson, avec ses qualités et ses défauts mais on se délectera sans problème du très bon moment de cinéma qui nous est proposé.